La Pièce

Quand l’absurde devient chef-d’oeuvre

Peu de lecteurs connaissent Jonas Karlsson, pourtant très apprécié en Suède. Comédien, écrivain, dramaturge, il apparaît dans plus de 40 films et a écrit une dizaine de romans. Parmi les traductions, « La Pièce » est un morceau d’anthologie absurde, qui met en scène Björn, un personnage arrogant et psychorigide. Celui-ci vient d’être nommé à l’Administration pour des tâches on ne peut plus mystérieuses. Il n’est pas tout à fait au bas de l’échelle et compte bien occuper plus tard un poste à haute responsabilité. Un jour, il entrevoit une porte entre l’ascenseur et les toilettes. La poussant aussitôt, il se retrouve dans une pièce à l’atmosphère paisible, sorte de petit bureau apparemment non occupé.

C’est alors que ses collègues, méfiants à son encontre dès son arrivée, commencent à le regarder avec inquiétude : pourquoi Björn passe-t-il beaucoup de temps planté au milieu du couloir à regarder la paroi ?

L’affaire remonte en haut lieu. Il tente de convaincre ceux qu’il considère comme des abrutis – avec lesquels il est obligé de travailler, alors qu’il se sait génial –, du bien-fondé de sa découverte. On commence par lui interdire de s’arrêter devant « la porte » que personne ne voit et que les plans du bâtiment récusent. Et on l’oblige à consulter un psy.

Un hasard lui permet de prouver son talent. Il réalise son rêve, il va dominer tout le monde. D’ailleurs, on commence à le regarder avec d’autres yeux. Grâce à lui, les postes de ses collègues sont sauvegardés. Mais, à la tête de l’Administration, et malgré l’excellence de son travail, le bureau secret est nié. Mieux, désormais, Björn n’a plus le doit d’emprunter ni l’ascenseur ni les toilettes qui encadrent « la porte ». Pourquoi cette conspiration ? Quand deux hommes en noir débarquent, Björn comprend qu’il a mis à jour une affaire qui devait rester cachée. Pour échapper à ses poursuivants, il se réfugie dans la pièce et, réalisant que l’on cherche à enfoncer la porte, il pénètre dans le mur, comme une « cuillère dans un yaourt ». « Ici, vous ne me trouverez jamais », conclut-il rasséréné.

Un roman au ton sérieux, parfois pédant pour mieux coller à Björn, qui s’exprime à la première personne. La chute aussi inattendue que fantasque ne fait qu’ajouter une touche délirante à ce livre sarcastique, où il est question de conformisme, d’intolérance et de la peur de l’autre.

Jonas Karlsson: « La Pièce », Babel Ed., 2022, 191 p.

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