
L’incroyable saga d’un trésor artistique
Tenir en haleine un lecteur en parlant d’art et d’histoire n’est pas une sinécure. Avec La Collection inavouable, c’est pourtant le défi que relève Dimitri Delmas, designer et illustrateur à la plume vagabonde.
Dans les milieux concernés, la collection Gurlitt est un classique en matière de spoliation sous le IIIe Reich. En l’occurrence, l’amas obsessionnel de tableaux et autres productions artistiques est dû au marchand d’art et historien allemand Hildebrand Gurlitt. À la mort de ce dernier, son fils Cornelius hérite d’un trésor pour le moins sulfureux, évalué à plusieurs millions d’euros. Un trésor qui l’empêchera de vivre, légué à sa disparition au Kunstmuseum de Berne.
En 2010, alors qu’il rentre en Allemagne après un court séjour en Suisse, un contrôle douanier révèle qu’il transporte 9000 euros. Imaginant une banale fraude fiscale, il est arrêté. Son appartement de Munich est méticuleusement fouillé, on y découvre plus de 1500 chefs-d’œuvre considérés comme perdus, témoins de l’art dit dégénéré, selon l’appréciation nazie : Chagall, Picasso, Cézanne, Dix, Delacroix, Munch, Matisse, Kirchner, Heckel, Nolde, dix, Kokoschka, Käthe Kollwitz, Max Liebermann et autres. En 2014, année de la mort du vieil homme, sa maison à Salzbourg livre un nouveau trésor.
La saga Gurlitt
Soigneusement cachée après la guerre, cette hallucinante collection a parcouru des kilomètres durant des années, passant d’un lieu secret à un autre. Gurlitt père a commencé l’accumulation d’œuvres d’art moderne bien avant la Deuxième Guerre mondiale. Il a été le directeur du Musée de Zwickau, ville de Saxe. Introduit parmi les expressionnistes durant la Première Guerre, il est devenu un marchand d’art si renommé, que son passé – sa grand-mère était juive – a été passé sous silence, Hitler lui confiant même la responsabilité de constituer une collection d’art destinée au futur Führermuseum. Sa vie durant, il a navigué à vue, tirant toujours son épingle du jeu quand les conditions sociales devenaient dangereuses pour lui et sa famille. Mieux : grâce à ses responsabilités pour Hitler, il peut s’adonner à sa passion pour les arts et acquérir ou vendre des œuvres qui constitueront sa fortune.
Par dévotion pour son père, et par amour de l’art, Cornelius a protégé au mieux ce lourd fardeau. Il meurt quatre ans après la découverte du pot aux roses.
Dimitri Delmas a mené une enquête fouillée. Il choisit d’évoquer cette collection hors normes à travers l’histoire, de la Première Guerre à la mort des Gurlitt. Le lecteur est convié à croiser les plus grands artistes allemands de « l’art dégénéré ». Il se mêle de leur vie, de leurs combats, de leur génie. Rarement un livre d’art offre des portraits aussi vivants, des plongées dans le quotidien d’une époque à la fois terrifiante et haute en couleur et en folies créatrices.
L’ouvrage est divisé en chapitres signalés dans des pages rouges illustrées. Reproductions d’art, bandes dessinées, photos, dessins, insufflent à cette enquête une atmosphère ludique apparemment légère, que contredit le contenu étourdissant de cette aventure artistique à nulle autre pareille.
Dimitri Delmas : La collection inavouable, Flammarion, 2023, 262 p. Ill.
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