Hommage à une fée mystérieuse
Est-il possible de créer un livre d’art à partir d’images consacrées à une grande dame fantomatique, l’électricité ? Le photographe neuchâtelois Marc Renaud n’en a jamais douté, qui a relevé le défi dans un ouvrage intitulé « NO BLACK OUT », préfacé par l’auteur chaux-de-fonnier Thomas Sandoz.
L’électricité… vaste sujet. Non, on ne peut ni la toucher, ni la respirer, ni la voir vraiment, sauf quand elle se donne en mini spectacle – les courts-circuits–, ou géante manifestation ne laissant personne indifférent – la foudre. Pour être apprivoisée, la dame a posé des exigences qui dépassent l’entendement et la sagesse. Les hommes se sont pliés à toutes ses exigences, transformant les paysages pour le meilleur et pour le pire. Ils ont vite été accros comme à une drogue puissante qui éclaire, illumine, soigne… tant qu’elle est traitée avec respect et servilité. Car elle est capricieuse, la grande maîtresse de l’humanité. Un geste de travers et elle châtie sans ménagement. Ses colères peuvent se révéler apocalyptiques.
Bien avant la découverte de la Fée, des textes ont été découverts dans l’Égypte antique , environ 2750 avant J.-C., qui font référence à un « Poisson Tonnerre, protecteur » des autres habitants de l’eau. Il s’agissait du poisson électrique, dont parleront, près de deux millénaires plus tard, des médecins et naturalistes romains, grecs et arabes. C’est au Grec Thalès de Milet, vers 600 avant J.-C., que revient le mérite d’avoir mené des observations concernant l’électricité statique. Benjamine Franklin, au XVIIIe siècle, consacrera sa fortune à ses recherches sur le phénomène. On commençait à y voir goutte. Mais la belle se dérobait. Un siècle plus tard, une myriade de scientifiques permit à la dame « de passer du statut de curiosité à celui d’outil essentiel de la vie moderne ». On connaît la suite. Si un jour elle se rebelle, adieu la civilisation.
Pour lui rendre hommage, Marc Renaud a photographié les structures qui permettent à la récalcitrante d’aider l’homo sapiens dans ses multiples activités, bonnes ou mauvaises : de la médecine la plus pointue au nucléaire et aux armées, des jouets de plus en plus sophistiqués à la torture utilisée par les bourreaux, sans oublier l’aviation ou la lumière dans les foyers et dans les villes, nul n’imagine qu’elle pourrait ne plus être une compagne quotidienne. Le photographe s’est rendu dans les boyaux de la Grande Dixence, les dépôts de charbon en Allemagne, à l’EPFL de Lausanne, à Gösgen, etc. Il en a rapporté des vues surprenantes, même à l’ère de la surconsommation en matière d’images.
Son regard sur les structures servant de près ou de loin à « servir » la Fée, il montre des objets aussi pragmatiques que les bâches censées protéger le glacier du Rhône de la chaleur, le défrichage en forêt pour laisser la place à une nouvelle ligne à très haute tension, un transformateur électrique, des bobines de câble électrique, une piscine de désactivation pour combustibles irradiés, un collecteur solaire parabolique et tant d’autres. Le must étant sans doute son regard très personnel sur une centrale hydroélectrique en Valais, ou quand la Suisse n’a plus rien à envier à Beaubourg ! Ou encore la photo scintillante d’une présentation pour étudiants, High voltage Laboratory de l’ETHZ.
L’ouvrage s’ouvre sur une série de clichés en noir et blanc de pylônes à haute tension. L’ambiance est donnée, on est bien dans un livre d’art.
L’écrivain Thomas Sandoz signe une postface bilingue tout en nuances, en histoire de la grande Mystérieuse et en infos, le tout rédigé de manière très poétique.
Marc Renaud : NO BLACK OUT, ouvrage de photos, Till Schaap, Berne, 2029, 176 p.
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