Comment les libraires peuvent-ils encore vendre des vagues de romans à l’encéphalogramme tellement plat qu’on pleure sur les arbres massacrés pour les publier ? Au milieu de ces milliers de pages désolantes, où se noient tant de lecteurs abrutis, parfois une perle jaillit. Et, bonne nouvelle, dans le top ten des auteurs romands qui ne déçoivent JAMAIS, il y a quelques certitudes. Le Valaisan genevo/fribourgeois Michaël Perruchoud est de ceux-là. On hésite à entamer chaque nouveauté qu’il publie, car on sait par avance qu’on ne le lâchera plus… une fois lu, bin, c’est lu… Hélas, je viens de terminer son dernier récit, « Une Lada bleue », qui se déroule dans un décor de guerre, Grozny, 1999. L’atmosphère du roman est grise, lourde, menaçante ; elle saigne par tous les coins de rue de la ville, où règne la violence et la barbarie. Au cœur du drame, quatre adolescentes, de la gamine handicapée mentale à la plus délurée, en passant par la sœur protectrice et celle qui n’a pas sa langue dans sa poche. Elles bravent les interdits et confient leurs rêveries à une vieille Lada bleue qui rouille au fond du jardin, où elles se retrouvent, tandis que pleuvent les bombes et dévastent quartiers et environs les incendies meurtriers. Outre le lien qui les attache l’une à l’autre, chacune d’elles a sa propre histoire, que Perruchoud explore d’une plume à la précision chirurgicale. Il réussit le tour de force de ne jamais sortir les violons. Ici, la réalité dépasse la fiction, nul besoin d’ajouter de l’émotionnel qui affadirait l’histoire. Le récit est sobre, factuel, la pire des situations est décrite assez froidement, avec néanmoins une empathie sous-jacente. Il en résulte un roman terrifiant, émouvant, qui oblige le lecteur à tourner les pages sans plus pouvoir s’arrêter. Comment ces ados traversent-elles le drame ? Comment sauver leur peau ? Telle est la question. Le caractère de ces héroïnes malgré elles est si bien ciselé, qu’elles occupent tout l’espace autour du lecteur. L’oppression se fait pesante, les images de l’horreur défilent. L’humain qui dérape, l’humain courageux, l’humain salopard et l’humain généreux. Ils sont tous là, en rang serré, alors que les Russes viennent soumettre les rebelles.
Et puis, un brin de légèreté dans cet enfer, une Lada bleue, comme un rayon de soleil qui clôt ce roman obsessionnel qu’il sera difficile d’oublier. Perruchoud, t’es toujours le meilleur !
Michaël Perruchoud, Ed. CousuMouche, 234 p.
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