Clara et la pénombre

Quand les beaux-arts dérapent

Tous les lecteurs ont leurs petits préférés, leurs idoles de papier qui s’installent sur les rayons de leurs bibliothèques. L’une de mes obsessions littéraires se nomme José Carlos Somoza. J’ai déjà présenté l’un de ses livres et  c’est sûr, j’y reviendrai. 

Comme il a une formation de psychiatre, le Cubain qui vit à Madrid a peut-être puisé dans les neurones de ses patients les délires qui remplissent les pages de ses livres. Pour « Clara et la pénombre », on se demande s’il ne faut pas enfermer l’auteur pour incitation à la maltraitance humaine. Certes, l’art contemporain a dépassé toutes les audaces, mieux, il en est même arrivé à torturer des animaux. Les horreurs n’ont pas fait reculer certains artistes, tels Wim Delvoye et ses cochons tatoués, ou Adel Abdessemed qui montre un film dans lequel le spectateur voit des poulets suspendus brûlés vifs, ailleurs des chats jetés dans un escalier, un chien errant malade, privé de nourriture, présenté dans un musée jusque’à ce que mort s’ensuive et et autres joyeusetés que l’homo sapiens inflige à ces êtres sans défense. L’art qui fait vomir. Et après tout, la corrida n’a rien à envier à ces barbares.

Somoza est plus soft : il imagine des corps humains devenus oeuvres d’art. Rien de bien original, finalement… n’oublions pas Yves Klein, qui utilisait à la fin des années 1950, des corps nus enduits de son fameux IKB pour la représentation de ses «anthropométries de l’époque bleue», ou encore l’actuel body-art. Dans son récit, Somoza raconte la démarche de Bruno Van Tysch, champion de l’Hyper Dramatique (HD), où les corps sont des toiles de maîtres exposés et achetés. Car dans un avenir proche, la création contemporaine n’intéresse plus personne. Par contre, le marché de l’art passionne toujours les foules.

Van Tysch est le dieu incontesté du HD. Et la jeune Clara rêve de devenir l’une des œuvres de son idole. Or, à la veille d’une grande exposition à laquelle elle va enfin participer, le modèle du tableau «Défloration» est assassiné dans des conditions abominables. Meurtre ou vandalisme? L’enquête entraînera l’agent Bosch au-delà de l’imaginable, dans l’univers dégénéré des marchands d’art, artistes et œuvres humaines. Roman fascinant, d’autant qu’il semble très proche de notre mode de fonctionnement, où tout et n’importe quoi se vend et s’achète, où la création artistique a basculé dans une perversion absolue. 

José Carlos Somoza : Clara et la pénombre, Ed. Actes sud, Arles, 2001, 555 p.

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