La Boisselière

Une vision prophétique

Sous ce titre surprenant qui pourrait évoquer une plante, une demeure bourgeoise, un lieu-dit, se détachent au fil des pages des phrases qui se dérobent. Tout comme les présences, des fantômes qui s’animeront, à peine le temps d’un livre, puisque les personnages disparaissent entre le début et la fin du roman. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Où sont-ils allés ? Ont-ils seulement vécu ? Le chat lui-même participe de l’énigme ambiante.

Ecrivaine du Jura sud à la plume élégante et classique, Sylviane Chatelain n’a rien d’une auteure de science-fiction. Sa Boisselière s’inscrit pourtant dans la veine des récits les plus mystérieux de ce genre longtemps décrié. Le lecteur entre ici dans le fantastique, à travers une métaphore d’un monde à l’agonie. Peut-être l’ultime soubresaut de la race humaine, présenté de manière poétique.

La Boisselière s’inscrit à coup sûr dans une vision prophétique, synonyme de pessimisme absolu. « Il n’y a plus rien », chantait déjà Léo Ferré. C’est le sentiment qui se dégage de cet ouvrage à tiroirs, qu’il est possible aussi de déguster au premier degré : dans une ancienne maison de retraite, La Boisselière, un groupe d’hommes, de femmes, d’enfants s’est réfugié, loin d’un pays dont les troubles sont évoqués ici et là. Ils partagent l’immense espace avec quelques anciens résidents, dont Henriette. Sa mémoire s’étiole, laissant la place à une vision décalée du lieu où elle vit. Arrivent trois individus, autres errants, peu recommandables. La fragile communauté se divise à cause de leur comportement. Pourtant, la vie continue, au gré des humeurs des nouveaux venus, il y aura même une naissance. Mais l’atmosphère est lourde, les échos du pays peu amènes. Les tensions sont tangibles. Seuls Henriette et le chat arpentent l’espace hors des contraintes.

Tant que les réserves de nourriture ne manquent pas, ni le bois pour se chauffer, l’histoire se poursuit, entre fatigue, doux désespoir, hésitation à s’en aller. Mais pour aller où ? Pour témoigner de cette vie repliée, apparemment dénuée d’avenir, l’ultime visiteur de la villa trouve le journal d’Hélène, qui n’explique en rien la disparition des locataires. D’ailleurs, lui-même, qui est-il ? Restera-t-il dans la villa, alors que le chat lui aussi finit par disparaître ?

Comme à son habitude, Sylviane Châtelain tisse une histoire à coups de fils d’or que sont ses mots alignés avec la délicatesse qui caractérise son écriture, toujours sibylline, apparemment légère, évocatrice et sans heurts. L’écrivaine offre sa fiction la plus aboutie, parce que dénuée de toute logique, au lecteur d’imaginer cet univers proche du nôtre, qui côtoie un vide terrifiant.

Sylviane Châtelain, La Boisselière, roman, Orbe, Campiche, 2014, 208 p.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *