Quand la dystopie devient réalité
Douglas Kennedy fait partie de ces auteurs dont on ne comprend pas le succès international. Il écrit sans le moindre style, multiplie les lieux communs, n’a aucun sens de l’esthétique. Ses récits sont ennuyeux et si lents, qu’une petite belote pourrait prendre place entre deux chapitres. Mais il observe et décrit ses USA natals avec un œil lucide, qui ne manque ni de charme, ni de cruauté.
Et le voilà qui tente l’aventure de la dystopie avec son dernier roman « Et c’est ainsi que nous vivrons ». Miracle, le livre est un coup de génie, une audace inattendue, une terrifiante saga. Certes, le style reste proche de l’encéphalogramme plat, mais son histoire, qui ne fait que suggérer une suite apocalyptique à la grande Amérique en plein désarroi, celle qui se fracture de plus en plus, apparaît si réelle que le lecteur en demeure pantois : imaginez une nouvelle Sécession qui divise le pays. À la suite d’événements dramatiques terriblement plausibles, « Les États autrefois unis d’Amérique » – on est en 2045 – sont désormais séparés en deux. Une République unie (RU) est installée sur les côtes est et ouest, avec plusieurs enclaves, et une Confédération unie (CU) au centre et au sud. Dans un petit coin du nord, une zone neutre (ZN) est aux mains des uns et des autres et ne présente rien de neutre. En RU, la liberté de mœurs est totale, mais la surveillance drastique. En CU, divorce, avortement, changement de sexe sont bannis au profit de valeurs chrétiennes d’un autre âge et brûler un ennemi en place publique fait partie des habitudes. Ces nouveaux frères ennemis se mènent une guerre froide sans pitié. Aussi, Samantha Stengel, agente des services secrets de la république, une femme hyper pro, privée d’émotions, réputée pour son sang-froid, doit débusquer et anéantir une cible hautement dangereuse et imprévisible. Sa petite enquête dans l’un des états les plus rigoristes ne va pas tout à fait se dérouler selon ses plans.
Mais, en bon petit soldat aux ordres de son tyran libertaire, Samantha remplit sa mission, repart pour un tour, plus solitaire que jamais. Le lecteur, lui, comprend que le bonheur ni la liberté ne sont au programme de cette Amérique désunie. Pas si dystopique que ça !
L’auteur a frappé un grand coup, est-ce la raison qui l’a poussé à vivre en Europe ?
Douglas Kennedy: « Et c’est ainsi que nous vivrons », roman, Belfond Editeur, Paris, 2023, 336 p.
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