Crâl

Quand la science-fiction retourne aux chasseurs cueilleurs

La science-fiction explore les possibles futurs des humains. Le Chaux-de-Fonnier Alexandre Correa imagine dans « Crâl, » son dernier roman, une tribu survivante d’un Tchernobyl dont les quatre réacteurs auraient explosé en 1986, dévastant la planète.

Des dizaines de milliers d’années plus tard, une tribu erre, à la recherche des « terres parfaites », où elle pourra se sédentariser. Ces nouveaux chasseurs-cueilleurs suivent aveuglément Tata Gué, une sage qui les conduit contre vents et marées. Pour la tribu, elle sait où elle va, traversant des plaines, des montagnes, affrontant au fil des mois, toutes les météos, tous les dangers. La tribu lui voue une confiance absolue, sauf le jeune Crâl, qui lui pose des questions sur ce voyage qu’il devine absurde. Tata Gué réalise qu’il sera le prochain guide : il comprend la vie, la nature, il se fond en elles naturellement. Comme Tata Gué, il consomme des champignons et des boissons fermentées qui lui permettent d’appréhender les subtilités de l’existence. Plus le temps passe, plus Crâl entrevoit combien il est différent des autres. Seule la petite Binda, une enfant aussi lucide que Tata Gué et Crâl, échappe à la médiocrité ambiante. Elle sait, elle, que Crâl, un jour, partira seul.

Chemin faisant, la tribu croise des chiens sauvages. Ils ne sont plus soumis à l’homme. Agressé par l’un d’eux, Crâl perd un doigt, mais sauve sa vie en le tuant et, par respect pour l’animal, lui dresse une tombe, lui offrant le doigt arraché lors de la bagarre. 

Rejoignant un abri de fortune qui fut jadis une station-service, la tribu découvre des fragments de métaux, boîtes de conserve, fourchette, débris de l’humanité disparue. Très excité, chacun des membres les transforme en armes et autres objets qui leur semblent soudain indispensables. Crâl désapprouve, refusant de se charger d’ustensiles qui ne font qu’encombrer. À la mort de Tata Gué, blessée lors d’une bataille contre un autre clan qui convoite les objets de la tribu, Crâl se sent obligé d’occuper sa place. Il s’acquittera de son devoir, s’arrêtant un jour dans une vallée qui lui paraît accueillante. Il se met alors à peindre avec des matériaux naturels. Aussitôt, il est imité par des membres de la tribu. Il sait désormais qu’il doit disparaître, son mental ne s’accorde plus aux envies des siens. La petite Binda est heureuse de sa décision.

Alexandre Correa est un auteur majeur de Suisse romande, l’un de ceux dont on parle peu : doué, imprévisible, évitant les chapelles et toute forme d’élitisme, il suit son chemin personnel, se moquant des étiquettes et de la bien-pensance. Son écriture, particulièrement ciselée dans une apparente simplicité, vagabonde entre la philosophie et la littérature. Baguenauder dans ses livres, c’est ramasser des claques à chaque coin de page. À travers ses récits, l’auteur chaux-de-fonnier pose des questions essentielles concernant notre monde en décomposition. 

Entre science-fiction, fantastique, réalité décomposée, Correa réinvente le Nouveau roman à sa sauce : pas d’émotionnel, sécheresse des phrases qui n’en sont que plus frappantes d’efficacité. Comme ses précédents livres, « Crâl » est à nouveau un morceau d’anthologie à lire et à relire.

Alexandre Correa : « Crâl », Ed. Torticolis et Frères, La Chaux-de-Fonds, 197 p. Ill. 

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