Cortex

AU-DELA DE TOUTE ETHIQUE

Vous faites partie des aficionados de la science-fiction et de la dystopie. « Le meilleur des mondes », « 1984 », « Fahrenheit 451 » ont bercé votre adolescence et Philip K. Dick n’a plus de secret pour vous. Voici une perle à ajouter dans votre bibliothèque : « Cortex » de Philippe Favre. Petite cerise sur le gâteau : le roman se déroule en Suisse romande. A Genève, au Campus Biotech, un projet cherche à simuler le cerveau humain de manière artificielle, via un superordinateur. Appelées « Human Brain Project », ces recherches occupent d’innombrables scientifiques, tous domaines confondus. Ça, c’est dans la réalité. « En soi, écrit l’auteur dans une postface,  l’aventure est prodigieuse : après la théorie de l’évolution, après le décodage du génome humain et la compréhension de l’origine de l’univers, l’homme veut comprendre le fonctionnement de son propre cerveau, autrement dit décoder les mécanismes de nos pensées au niveau moléculaire ».

Partant de ces informations, Philippe Favre laisse dériver son imaginaire. Le thriller qu’il concocte n’est peut-être pas si fou qu’il y paraît : à la suite d’un accident de snowboard, Lana, la fille de Gregory Coleman, chef du projet « Human Brain », est déclarée morte. Une aubaine pour les chercheurs de Biotech : enfin un cobaye humain sur lequel travailler. Et malgré les réticences de son ami et co-directeur de projet, qui craint les retombées dans la presse et parmi la population quand seront révélées ces recherches sur le cerveau de Lana, Coleman tient bon : sa fille avait sur elle sa carte de don d’organes, ils exploiteront le cerveau, après avoir prélevé sur son cadavre les éléments susceptibles de sauver d’autres vies.  

Quand la morte prend des décisions

Placé dans un sarcophage, sorte de « cigare de verre empli d’un liquide ressemblant à du Rivella », le cadavre baigne, nu, « façon Blanche-Neige revisitée par James Cameron ». Déjà perturbé par la vision du corps et du cerveau décalotté reliés à de multiples tubes, stimulateurs et autres instruments de mesures, le  jeune chercheur Malcolm Saudan est pour le moins secoué. Mais comme toujours et partout, « the show must go on ». 

Au fil des jours et des semaines, la morte reste morte. Jusqu’à cette soirée magique au cours de laquelle, Malcolm, passionné d’apnée et de guitare, entreprend de jouer « Bohemian Rhapsody » au laboratoire où il a emmené sa Gibson. Fan de Freddie Mercury, Lana l’écoutait lors de sa mortelle randonnée, et apparemment, la musique se fraie un chemin vivant dans le cerveau de la malheureuse skieuse. 

Branle-bas de combat au laboratoire pour aborder cette révolution. Des morts mystérieuses viennent compliquer la situation, et comme prévu, la dérive transhumaniste ne plaît pas à tout le monde. La fliquesse chargée de l’affaire dénouera-t-elle les nœuds d’une histoire qui dépasse largement le laboratoire, où on se demande comment expliquer à la fille du boss qu’elle n’est plus qu’un cerveau. Comment lui révéler l’atroce vérité ? Son corps est vide, aucune existence n’est plus possible pour elle dans le monde des citoyens lambda. Dans son « Rivella », petit à petit, Lana apprend à communiquer. Elle sera maîtresse de son destin jusqu’à une fin qu’elle jugera digne.

Complexe, émouvant, « Cortex » interroge notre rapport à la mort et à la recherche scientifique à n’importe quel prix. Les années 2000 se rapprochent sans nul doute d’une philosophie à la Frankenstein. Philippe Favre l’a bien compris, qui décrit, au-delà de la fiction, un monde où une nouvelle espèce, des zombies baignant dans leur « Rivella » pourrait prendre ses quartiers parmi nous. Et ensuite ?

Philippe Favre, Favre Editeur, Lausanne, 2016, 293 p.

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