
Les combats d’un ange
Ariel Auvinen est un ange porté de bonne volonté, mais terriblement maladroit. Malgré un solide apprentissage sous la direction de Gabriel, il cumule les gaffes, un peu comme s’il était habité par le diable. C’est d’ailleurs ce qu’il expliquera aux plus hautes instances de la caste des anges siégeant en l’église de Kerimäki, en Finlande, où se tient une fois par an un séminaire de formation. Il entame sa carrière avec une vieille bigote, sa protégée, qu’il convainc, par erreur, de se saouler la gueule. On lui confie ensuite Aaro Korhonen, un citoyen honnête, parfaitement capable de gérer seul ses affaires terrestres. Hélas, sous la baguette d’Ariel, Aaro passe de Charybde en Scylla : une institutrice ravagée veut lui mettre le grappin dessus, son immeuble est la proie d’un incendie dévastateur, il subit un grave accident de la route alors qu’il est accompagné, dans un corbillard, par un ami. Puis il perd deux cadavres qui devaient être rapatriés d’Allemagne, manque de faire tuer une innocente cycliste, provoque une catastrophe ferroviaire digne des meilleures actions terroristes, et finalement détourne un bateau, son équipage et les voyageurs, les conduisant rapidement au naufrage. Un tel talent finit par intriguer Satan lui-même, qui cherche à le faire changer de bord. Un diable à son service propose donc à Ariel de le recruter. Une offre d’emploi en bonne et due forme !
L’ange hésite, la proposition est alléchante, jusqu’au moment où le diablotin lui annonce qu’ainsi, il pourra couler des jours heureux auprès de feue son épouse, une abominable mégère qui croupit en enfer. Ariel se réveille alors et refuse l’emploi. Son chasseur de têtes tentera de le balancer hors d’un avion, mais, comme les voies du Seigneur sont impénétrables, Ariel aura raison du diable. Après sa lutte contre le démon, on lui offre la direction de la formation des anges. Ainsi retiré du terrain, aucun humain n’aura plus à craindre ses coups foireux.
Né en 1942 dans un camion qui fuyait les Allemands, décédé en 2018, Arto Paassilinna a été bûcheron, ouvrier agricole, avant d’entamer des études et de devenir journaliste. Il écrira : « « J’étais un garçon des forêts, travaillant la terre, le bois, la pêche, la chasse, toute cette culture que l’on retrouve dans mes livres. J’ai été flotteur de bois sur les rivières du nord, une sorte d’aristocratie de ces sans-domiciles fixes. Je suis passé d’un travail physique à l’écriture. Je suis allé de la forêt à la ville. Journaliste, j’ai écrit des milliers d’articles sérieux, c’est un bon entraînement pour écrire des choses plus intéressantes. » Bon résumé de l’écrivain aux 35 livres, traduits dans le monde entier – quatre millions de ventes dans sa patrie qui compte à peine plus de cinq millions d’habitants. Paassilinna est sans nul doute l’un des écrivains le plus caustiques que l’on puisse déguster. Son humour flirte toujours avec l’absurde, les situations ubuesques dans lesquelles se retrouvent ses personnages font de cet auteur hors normes le champion d’une gaudriole très british.
Interrogé un jour sur la suite de sa carrière, il aurait dit : « Les Finlandais ne sont pas pires que les autres, mais suffisamment mauvais pour que j’aie de quoi écrire jusqu’à la fin de mes jours ».
Arto Paasilinna : Les Mille et une gaffes de l’ange gardien Ariel Auvinen, Folio 5931, Paris, 2015, 237 p.
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