Carnets des Malouines

Le silence des manchots

Au début du millénaire, c’est à plus de 12.500 kilomètres que l’écrivain Chaux-de-Fonnier Jean-Bernard Vuillème est allé passer un curieux séjour sur une terre peu hospitalière, les îles Falkland. Il en a rapporté ses « Carnets des Malouines », un petit récit assez truculent, des notes au jour le jour parmi une population muette et suspicieuse, mais âpre au gain, dont on se demande bien ce qu’elle fiche sous ces latitudes peu avenantes, où même les arbres ont renoncé à pousser. Les manchots, eux, sont comme au coin du feu, à l’aise contre tempêtes et marées. Ils seraient un million, mais eux aussi souffrent de la pollution des océans – une mortalité inquiétante a été relevée parmi eux en 2023.

Séjourner durant quelques semaines aux Malouines exige une solide volonté, soutenue sans doute par la curiosité. Car au-delà de la découverte de ces contrées arides, où le moindre déplacement est hors de prix, il n’est pas évident de passer son temps entouré d’humains peu accueillants – 3200 civils et 1700 militaires anglais. L’auteur raconte ses tentatives de recherches d’infos, un chemin de croix au fil des jours. Intrigant. Les scènes rapportées sont truffées d’humour, le lecteur imagine ce brave Suisse confronté à des réactions peut-être indues par l’éloignement de la mère patrie et par une solitude qu’une météo peu joviale accompagne jour après jour : « Maintenant que je commence à prendre mes marques en tant qu’unique piéton de Stanley (la capitale)… une fois l’effet de surprise passé, je comprends que [ces réactions] sont liées à la manière d’être des gens d’ici et que je n’ai affaire ni à des rustres ni à des robots, mais à des Falkland Islanders tout à fait normaux. » Pourquoi tant de méfiance alors qu’il apprend qu’il n’y a pas de violence sur les îles ? Pas de drogue, pas de prostitution, le travail de la police consistant surtout à sanctionner les excès de vitesse et l’alcool au volant. 

À force de creuser, Vuillème finit pas croiser deux ou trois Malouins presque sympathiques, dont le tenancier de l’hôtel où il est descendu, qui lui fournira deux ou trois bonnes adresses. 

Dans ce livre empreint de comique de situation, Margaret Thatcher n’est pas loin, ni les petites mains venues d’ailleurs, exploitées par ces surprenants Anglais du bout du monde.

Une lecture qui n’a de léger que l’apparence, qui rappelle que la Guerre des Malouines n’était pas oubliée vingt ans après la victoire anglaise. Vuillème a laissé à son récit son aspect brut de décoffrage qui ne manque pas de charme, tant par quelques maladresses de style que par le regard aigu qu’il porte sur ces drôles d’îles si difficiles d’accès – les Malouins interdisant aux avions argentins de se poser sur leur sol.

Peu propice aux vacances décontractées !

Jean-Bernard Vuillème : Carnets des Malouines,   Ed. Zoé, Genève, 2005, 103 p.

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