victoires dérisoires
Un vent d’humour acerbe
Érode les piliers
Du temple
Déchire
Les drapeaux
AZ
« Snowflakes ! », des flocons de neige ; c’est ainsi que l’extrême droite désigne, aux États-Unis, les gauchistes qui ont l’ambition de s’attaquer aux failles du système. Ailleurs, on se gaussera de tous ces « utopistes », de leur « angélisme » naïf, balayant d’un revers de main des arguments qualifiés de futiles et frivoles, qui ne sauraient être pris au sérieux. Dédain, mépris, sarcasmes… Tout est bon pour disqualifier l’adversaire, pour invalider le discours contestataire.
La force brute n’est pas le seul moyen de venir à bout d’un régime. Hitler, Napoléon, Louis XVI et tant d’autres dans l’Histoire ont certes été vaincus par les armes ; mais il y a aussi de nombreux exemples qui montrent qu’un système peut s’écrouler de lui-même, sous les sarcasmes de la foule. Le stalinisme, l’apartheid et même l’Empire romain… À chaque fois la chute a été la conséquence d’un profond changement de mentalité.
Quelles que soient les causes, si le système qui régit nos vies doit s’écrouler, ce sera une épreuve extrême pour l’humanité ; cependant s’il est encore temps, il vaut la peine de tout faire pour en atténuer la violence. Pratiquement, cela veut dire s’attaquer non pas au système lui-même à coups de manifestations, de cocktails Molotov ou de sabotage, mais s’en prendre aux mentalités sur lequel il repose. Achever, en d’autres termes, de détruire sa crédibilité.
Les instituions, parlements, universités, hôpitaux ou même banques ne sont pas les cibles à viser. Elles seules nous séparent du chaos, les affaiblir reviendrait à se tirer une balle dans le pied. Ce qu’il faut c’est à la fois les dépoussiérer, les adapter à la réalité présente, les purger des couches d’hypocrisie dont elles se sont affublées et « invigorer » à nouveau leurs racines humanistes. Changer, autrement dit, la mentalité de celles et ceux qui sont en charge.
Il est à craindre que cela ne se pourra se faire à coups d’argumentation, dans un cadre codifié que ces personnes maîtrisent. L’invective n’est pas non plus une bonne approche, dans la mesure où elle ne provoquerait que des réflexes défensifs. Reste l’humour, la dérision, tout ce qui pourra déstabiliser l’assurance factice des marionnettes qui occupent des postes prestigieux dans ces institutions.
Marionnettes ? Certes, il y a toujours des exceptions ; mais dans l’ensemble ces hauts fonctionnaires offrent un spectacle pathétique. Suspendus aux fils de l’économie, se renvoyant la balle dès qu’il y a une responsabilité à assumer, avides de recevoir leurs su-sucres, toujours prêts à faire des courbettes devant leurs supérieurs et à afficher sans nuances leur autorité sur le personnel, toute cette gent ne fait que se plier de manière ostentatoire, à de petits rituels de circonstance vestimentaires, administratifs ou comportementaux, pour bien signifier qu’on est là pour jouer le jeu.
Pas toutes, pas tous ; mais rares sont celles et ceux qui ont le courage de préserver leurs convictions intimes, de mettre le bien commun au-dessus des mesquineries de la comptabilité, d’aller à contre-courant de ce qui est attendu et de ruer si nécessaire dans les brancards.
N’ont-ils pas honte de jouer cette comédie jusqu’à une retraite tant attendue, une retraite qui les trouvera complètement désemparé(e)s de se retrouver face au néant de leur existence, condamné(e) à faire les touristes ?
C’est ça, la cible : il faut les frapper en plein plexus avec toute la force d’un humour acerbe pour les réveiller. Pour leur faire réaliser que toutes ces petites prétentions auxquelles ils sont accrochés sont grotesques ; pour leur faire prendre conscience du fait que c’est leur âme qui s’est fait bouffer par le système ; pour leur faire honte, oui, en public et en privé.
Gageons que, quand tous ces gens se sentiront ridicules dans leurs bottes bien cirées, qu’ils ne pourront plus se vanter de tous ces déplacements inutiles qui font leur fierté et que les paillettes d’or de leurs atours provoqueront plus de rires que d’envie, gageons que, ce jour-là, la surconsommation et le stock-market feront un plongeon aussi décisif que salutaire pour notre survie sur cette planète.
Mais ces pantins ne sont de loin pas les seuls à être risibles. Nous sommes toutes et tous susceptibles de tomber dans les pièges d’un système qui sait comment exploiter toutes nos faiblesses : notre vanité, notre gloutonnerie, nos phobies, nos mensonges, nos lâchetés, notre pingrerie, voire même notre méchanceté et notre cruauté inavouées. Comment se moquer d’Ubu Roi alors que nous sommes incapables de faire preuve d’autodérision ?
La modestie n’est pas un vœu pieux, elle est une condition nécessaire à notre survie. Il faut se moquer agressivement des prétentieux.
Espérons que lorsque ce cortège d’immodestie se sera fracassé contre le mur du ridicule, le rire n’aura plus à être acerbe, qu’il pourra se reconnecter à la joie. Quant au sourire, qu’il ne soit plus seulement de circonstance, qu’il redevienne le signe discret d’une ouverture à l’autre, d’une volonté d’entraide, de solidarité.
En attendant, continuons de rire méchamment de tous ces clowns qui se prennent pour des gens sérieux, qui ne cessent de vendre leurs charmes fallacieux pour perpétuer le système. Crevons malicieusement toutes ces bulles d’égos démesurés chaque fois qu’une occasion s’en présente. Moquons-nous ouvertement de ces ploutocrates avachis sur leurs yachts, de ces chevaliers sans courage et sans conscience qui paradent, tel Poutine, torse nu et bien huilé sur leur monture bien dressée.
Le rituel du carnaval était là, dans bien des sociétés, pour brièvement oublier tous les tabous qui conditionnent notre comportement ; de brèves périodes durant lesquelles il devenait possible de mettre l’empereur à nu.
Ce concept, comme tant d’autres, a été récupéré par l’économie : les carnavals d’aujourd’hui ne sont plus que de grandes foires commerciales, à peine plus débridés que la foule de clients dans un hall de supermarché. Réactivons notre sain besoin de se foutre de la gueule des enivré(e)s du pouvoir.
La solution qui s’impose est évidente : faisons de chaque jour un jour de carnaval, donnons-nous à cœur joie le privilège de mettre le système à nu !
Feu la reine Élisabeth avait consacré sa vie à maintenir le semblant de dignité nécessaire à la cohésion du système britannique, il était difficile de se moquer d’elle. Elle était d’une époque où les responsables prétendaient encore incarner des valeurs, même si ce n’était pas le cas. Un Mao, aussi monstrueux qu’il ait pu être, était tout sauf grotesque. L’une comme l’autre a inspiré pour le meilleur ou le pire, bien des vies. C’est peut-être encore le cas avec un vieux François ou même un vieux Biden ; mais dans l’ensemble les dirigeant(e)s actuels n’inspirent, à juste titre, que nos sarcasmes.
Rire un rire bien amer, mais rire quand même.
Il n’est pas absolument impossible d’imaginer que les réseaux sociaux puissent devenir des vecteurs de ce rire, au moins temporairement. S’en servir pour déclencher des flash mobs au niveau planétaire pour ridiculiser publiquement toutes celles et tous ceux qui croient encore à ce système s’effritant devant nos yeux ; pour dissiper tous ces mirages aliénants et pour faire tomber la parure de tous ces imposteurs qui se la jouent.
La force du rire aura atteint son but quand le sarcasme aura éradiqué toutes les fausses valeurs ; quand le rire pourra à nouveau se faire franc et généreux.
Il y aura des dégâts, c’est sûr, mais nous pourrons alors nous mettre à l’œuvre pour reconstruire sur des bases plus saines.
Nous ne pouvons qu’espérer que les nouvelles générations, après s’être bien foutues de tout ce faux monde, pourront retrouver les joies d’un rire fraternel ; pour se donner le courage de faire face à la réalité.
Une vue bien étroite du carnaval ! Il était surtout la période de tous les excès, permis par l’église catholique, suivi de la pénitence de Carême jusqu’à Pâques. En résumé les actes de débauche se payaient par 40 jours de jeûne et d’abstinence. Pas sûr que c’est vraiment ce rire-là dont j’ai envie !
Bonne mise en contexte ; ne serait-il cependant pas fort probable que celles et ceux qui se payaient les 40 jours n’étaient pas les auteur(e)s des actes de débauche ?