dérisoires

victoires dérisoires

Mascarade
De héros
D’héroïnes
Indignes
De ton regard
Indignes
D’occuper
L’espace
Des dieux d’alors
Ne plonge pas
Dans cet
Enfer

AZ

Nos contacts pour ne pas dire ami(e)s, se profilent sur tous les réseaux, se positionnant fièrement dans des sites tous pareils… Pour partager leur plaisir avec nous ? Pour se vanter un peu ? Pour nous faire envie ? Peu importe : le ridicule ne tue pas. Nous le faisons tous. Et pourtant il tue non seulement les marionnettes qui en sont affublées, mais celles et ceux qui les entourent : une pandémie psychique.

Le culte de la vanité se nourrit de nos ressources limitées, nous pousse à nous parer d’oripeaux. Il accule au désespoir toutes ces âmes qui doutent d’elles-mêmes. Il incite à la compétition, au duel, au combat… Et ne laisse que ruines et cadavres sur son passage.

Des avatars de célébrités surgissent de partout pour nous faire passer à la caisse. Nous leur obéissons, sans même remarquer que leur aura se dissipe à une vitesse accélérée. Nous nous devons d’être tous branchés et à la même page, pour nous distraire de notre vide intérieur. Nous cherchons refuge dans un monde d’apparence, de non-être, que des milliards de milliards de pixels font miroiter devant nos yeux ébahis.

Des générations se sont battues au nom de la liberté. Noble cause, résultat pathétique. Un recul, certes, de toutes les formes de censure du passé, et les souffrances qu’elles impliquent. Nous sommes libres de penser n’importe quoi, de dire n’importe quoi, de faire n’importe quoi, dans la mesure où cela n’atteint pas à la liberté d’autrui. Et nous en profitons pour faire… N’importe quoi ! La perte de sens rendant toute censure inutile.

Nous nous entourons de toutes sortes de machines pour nous soulager des labeurs du quotidien. Nous passons des heures et des heures à laisser nos corps s’avachir, assis derrière un écran, derrière un bureau, derrière le volant… Et quand ces corps se mettent à trop s’affaiblir, à se ratatiner avant l’âge, nous nous précipitons au fitness pour confier à d’autres machines le soin de les remodeler pour ressembler à des athlètes.

La fierté légitime d’être chacune et chacun le qui nous sommes, a fait place à la fierté malsaine d’appartenir à des groupes qui s’excluent les uns les autres.

Le désir, longtemps tenu en bride par les religions et la morale, ne s’est pas déchaîné : il est devenu l’esclave aveugle et inconscient de l’économie qui le manipule. Tous les regards se fixent, médusés, sur les mêmes modèles : les mêmes fesses et les mêmes seins.

Qu’il s’agisse de partenaires amoureux, de plaisirs gastronomiques, de modes de divertissements, de confort ou de dépaysement, nos désirs sont soumis à des magnétismes convergents, gérés par des algorithmes qui, littéralement, nous crèvent les yeux.

Sans plus d’objets de désir authentiques, l’esprit s’égare dans l’artificiel, le faux. Les individus qui ne le supportent pas sont systématiquement marginalisés, emportés par toutes sortes de dérives « psychotoxiques», ou même poussés au suicide. L’individu, au sens strict d’un être qui ne se laisse pas réduire à un profil, n’a plus sa place dans la société.

Au-delà de la dimension pécuniaire qu’implique une telle soif de conformisme, le prix à payer est lourd : une forme de solitude existentielle qu’aucun artifice ne parvient à combler. La frénésie avec laquelle nous tentons de nous en évader à force de consommation et de communication intensive n’est que futile « délusion ». De distraction en distraction, nous nous sommes privés de l’essentiel. La communion avec soi-même, avec l’autre, avec l’immensité du monde… Ce qui fait de nous des êtres humains.

À défaut d’être, nous sommes condamnés à paraître. L’individualisme se mue en exhibitionnisme. Dans le déni de notre incapacité à donner, nous nous exhibons comme objets à envier. Sans ce regard des autres qui ne fait que nous flatter, nous succombons à la terreur de n’être rien.

Huit milliards. Sommes-nous trop nombreux sur cette planète ? Peut-être. Ce qui est sûr c’est que ce ne sont pas les humbles et les modestes qui la font exploser. Ce sont nos héroïnes et nos héros.

Toute l’absurdité de notre civilisation réside dans le choix de nos modèles : ces quelques centaines de milliers d’égos artificiellement gonflés, bien moins que le un pour mille de la population, dont nous nous obstinons à émuler tous les vices. Nous nous refusons à voir leur vacuité, subjugués que nous sommes par ces verrues d’or et de diamant parsemant leur traîne de porc nauséabond.

Quand le niveau de nos revenus, le nombre de kilomètres que nous avons parcourus, la diversité des gadgets que nous avons accumulés, les retouches de chirurgies esthétiques que nous nous sommes offertes, la provenance de nos habits ou le millésime des vins que nous dégustons se comparent aux modèles, nous en tirons de la fierté. Si ce n’est pas le cas, nous sommes poussé(e)s à la honte. C’est de tout ce superflu, au contraire dont nous devrions avoir honte. Honte de contribuer à décimer la biosphère pour combler l’abîme qui nous effraie tant.

Tous ces efforts sont dérisoires. À l’échelle de la planète, nous ne brillerons jamais que comme de petites étincelles nuisibles ; à l’échelle de nos proches, nous ne ferons que nourrir des émotions négatives, d’envie et de jalousie. Sous le couvert de l’admiration que nous tentons si désespérément de récolter, nous nous heurterons au mépris et à la pitié des rares personnes qui ont encore le courage de s’assumer telles qu’elles sont.

« Connais-toi toi-même ! » … Cette injonction qui remonte à l’Antiquité a perdu son pouvoir de nous inspirer. Nous ne cessons de nous cacher nos propres faiblesses, nos vulnérabilités. Au moindre bobo psychique, nous courrons voir un spécialiste, voir un guru, pour nous rassurer. Pour nous convaincre que nous « réussirons notre vie ».

Encore une fois : dérisoire !

1 commentaire

  1. Pas facile d’être soi et de se moquer du regard d’autrui. Accepter la solitude, savoir que cette existence dérisoire n’a d’autre but que d’enrichir des salopards… vivre libre, c’est nager sans cesse à contre-courant.

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