métropoles

victoires dérisoires

La tour de Babel
Phallus arrogant
Défiant le ciel
Ne sait pas
Ce qui l’attend

AZ

Depuis que nous ne sommes plus des chasseurs-cueilleurs, en grande majorité du moins, et que nous sommes passés au stade agraire, puis industriel, la cité est le noyau central, le pivot autour duquel la société s’organise. Si nous voulons remettre en question le système capitaliste dominant, il est donc nécessaire de se poser la question de nos métropoles.

Essentiellement, le rôle de la cité est de centraliser le contrôle des ressources, des décisions, des régulations, des connaissances, des forces armées et des rituels de cohésion culturelle sur un territoire plus ou moins vaste, s’étendant bien au-delà des limites de la ville elle-même. Le tout sous l’égide d’un dirigeant mâle en général, choisi ou non par le peuple. Ce modèle, vieux de plus de six mille ans, est si profondément ancré dans notre inconscient collectif que toute alternative est devenue impensable : c’est ça ou l’anarchie.

À ce stade, il convient de préciser que nous les humains, ne sommes pas les seuls à avoir inventé un tel type de structure sociale : les fourmilières et les ruches d’abeilles en sont la preuve ! Mais, fermons cette parenthèse.

Centraliser et gérer les domaines d’activité mentionnés n’est possible que dans la mesure où une métropole peut se montrer capable de rassembler une force de travail, la main-d’œuvre, considérable. Une forte densité de population en est la condition inévitable. À l’âge du fer déjà, Babylone dépassait les 150’000 habitants, quant à la Rome ancienne, elle en comptait, à son apogée, près d’un demi-million. Les grandes villes d’Europe, avec 11 millions pour Paris, témoignent d’un saut démographique majeur, tout en restant capables dans certains cas, comme Venise avec un peu plus de 600’000 habitants, de ne pas tomber dans une telle démesure. Avec les 37 millions de Tokyo, les 18 millions de New York ou les 22 millions de Mexico City, il saute aux yeux que nous en sommes arrivés à un point où de telles concentrations de population en sont devenues absurdement démesurées.

Loin d’être des symboles de puissance, les métropoles d’aujourd’hui sont désormais des pôles de vulnérabilité : infrastructures fragiles, conditions de vie aliénantes, faible résistance face aux épidémies, sans même parler du risque d’attaques balistiques ou de catastrophe naturelle… Tout montre que le concept de métropole est à revoir pour éviter qu’il ne se confonde avec un paradigme dystopique.

La solution au problème n’est plus à chercher du côté des urbanistes, aussi vertes que puissent être leurs nouvelles propositions, c’est au niveau philosophico-sociologique qu’il faut se poser la question.

L’idée même de centraliser toutes ces tâches et tous ces pouvoirs relève d’une conception pyramidale de la société qui, dans presque tous les domaines, s’apparente à une aberration anachronique. L’internet, par ailleurs si problématique, aurait pu nous fournir un exemple inspirant : dès le départ il a été conçu, précisément pour atténuer sa vulnérabilité, comme un système de connexions sans centre.

Qu’il s’agisse de ressources à engranger, de décisions à prendre, de règles à formuler, de rituels à partager ou de connaissances à faire fructifier, rien n’indique que ces tâches ne pourraient pas être mieux assumées en se basant sur des concepts de décentralisation. Au contraire, le rejet du modèle pyramidal ne pourrait qu’ouvrir la porte à des systèmes de production et d’échanges plus transparents et égalitaires.

« Voir Rome et mourir », une telle expression pourrait à la rigueur se justifier si Rome était encore la ville éternelle, principalement du fait de son rayonnement culturel. Or ce n’est plus le cas ; aucune métropole ne peut se targuer d’attirer encore les plus grands talents, d’être des foyers de création comme Florence, Paris, Berlin, Londres ou New York l’ont successivement été dans un passé pas si lointain. La gentrification systémique n’a pas de place pour la bohème dans son agenda. Les artistes, du moins celles et ceux qui n’excellent pas dans l’autopromotion, en sont exclu(e)s. Il n’y a plus de Montmartre, de Montparnasse, de Village ou de Soho, où artistes, poètes, excentriques et marginaux pouvaient refaire le monde des idées et des images. C’est l’exode : les grandes villes perdent leur âme sous nos yeux.

Des pièges à touristes : voilà ce que ces métropoles sont devenues. C’est aberrant, comme si chaque personne qui n’a pas eu l’occasion de se prendre en selfie devant la Tour Eiffel devait se sentir inférieure, asociale et inculte ! En ce sens, du fait de la stimulation de l’instinct grégaire qu’elle provoque, la fascination soigneusement entretenue par la publicité, pour les grandes métropoles contribue pour une bonne part à la pollution de notre planète.

Jamais été à Paris ? Et alors ? Cela fait-il de vous un être inférieur ? Bien sûr que non !

Vraiment ? Ce n’est malheureusement pas si simple. Le phénomène des grands centres urbains engendre son contraire : la province. Toutes ces zones soi-disant de seconde classe, peuplées de rustres qui se sentent bombardés de mépris, à moins qu’ils ne se mettent à lécher le cul des élites urbaines en s’évertuant à les imiter.

N’y a-t-il pas là une des causes majeures du clivage qui est en train de déchirer les démocraties ?

Laissons les villes se dépeupler de leurs forces créatrices, comme le font tous les régimes autocratiques, l’actuelle Russie en étant un exemple pathétique, et elles s’écrouleront d’elles-mêmes. Accueillons dans un même temps les esprits libres sur des territoires plus fertiles, fiers de leurs particularités, et encourageons ainsi toutes sortes de renaissances locales.

Utopique, naïvement optimiste ? Non, urgent !

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