uniformes

victoires dérisoires

Quand toutes les pommes
Auront la même forme
La même couleur
Elles n’auront plus
La moindre saveur

AZ

Le marquage du bétail est une tradition ancestrale. Au fer rouge, le plus souvent, et en général à l’oreille. Pour les humains avec l’exception honteuse et notoire d’Auschwitz, les marques d’appartenances sont plus subtiles. Cartes d’identité, passeports, inscriptions dans divers registres et, bien sûr, uniformes. Quel que soit son mode, la pratique du marquage repose sur un constat implicite : en son absence, il serait difficile de distinguer les individus les uns des autres. Nous perdrions toute appartenance.

À lui seul, ce constat a inspiré de nombreuses vagues de révolte. Les écoliers et les écolières de telle ou telle école ne sont plus ordonné(e)s de porter le même costume ; en Iran, les femmes sont prêtes à mourir pour ne plus avoir à porter le foulard rituel.

Ce qui frappe alors, ce qui devrait choquer, c’est cet enthousiasme avec lequel le bétail humain choisit de se faire marquer. Les grotesques tatouages des Hell’s Angels n’en sont qu’un exemple. À plus grande échelle, chaque personne arborant le V de Nike, sur sa chaussure ou son T-shirt, se porte volontaire au marquage sans même insister sur le fait qu’elle accepte ainsi de se transformer en panneau publicitaire. Nikè, en grec, c’est la victoire ; et oui, le troupeau s’est bien fait niquer par le logo !

Comble de l’ironie, c’est dans les cercles qui se prétendent élitaires, celles et ceux qui veulent se distinguer du commun des mortels, que l’avidité de se soumettre au marquage est la plus grande. Ainsi, des sigles tels que CK ou LV suffisent, aux yeux d’un certain bétail bourgeois à transformer les objets les plus ordinaires en trophées les plus convoités.

En soi, le besoin d’appartenance est parfaitement légitime, il constitue un des fondements de toute société. Porter un uniforme avec fierté, que ce soit celui du soldat, de l’ouvrier ou d’un service de la santé, c’est aussi afficher toutes les obligations, les sacrifices même, auxquelles nous sommes prêts à faire face. Toutes les cultures à travers l’histoire de l’humanité ont respecté ce besoin de signaler son appartenance, que ce soit avec des plumes, des tatouages, des oripeaux, des colliers, des bracelets ou toute autre forme de chaînes ou de liens.

Avec la modernité et la postmodernité, nous sommes cependant dans un autre cas de figure. Il s’agit de moins en moins d’assumer consciemment son appartenance, que de répondre aveuglément à un besoin de conformisme. Notre manque de confiance en soi nous fait craindre de revendiquer nos particularités. Pire encore, les uniformes que nous choisissons sont ceux qui n’impliquent plus aucune obligation ou responsabilité. Une appartenance qui ne demanderait « que » des sacrifices financiers ; gradée à l’échelle de revenus potentiels.

Et ces sacrifices à l’échelle globale représentent mille milliards de mille milliards d’heures de travail. De véritables fortunes en espèces tombent ainsi dans l’escarcelle des nouveaux escrocs planétaires. Les mêmes qui font tout pour que tourne la chaîne de production ; qui placent des populations entières sous le joug de conditions esclavagistes. Tout le monde le sait, et pourtant ça continue.

Comment est-ce possible ? Les religions et les états ont pendant longtemps, et certains le font encore, imposés ces sacrifices par conformismes, par la force. À notre époque ce n’est plus même nécessaire. Le nouvel opium du peuple, c’est la publicité. Un lavage méthodique de cerveau auquel nous consentons quotidiennement, qui se sert de tous nos désirs, de toutes nos aspirations au bonheur, pour contrôler nos modes de vie ; pour faire de nous des consommateurs prévisibles.

La publicité n’est pas seule responsable. Le cinéma de masse, le sport des arènes et tous les médias populaires ne cessent de faire miroiter des modes de vie entièrement fictifs, que nous prenons pour des réalités ; des modèles à envier et à suivre, contrastés avec des modèles à répudier et à combattre. À chaque nouvel épisode, nous sommes incités à nous positionner entre des formes caricaturales de bien et de mal, soulignées lourdement par des narratifs nous incitant à faire le choix voulu.

Pour que le système fonctionne, il faut que l’individu se fonde dans la masse, bien plus manipulable qu’une somme de choix subjectifs. C’est le principe même de l’uniformisation. Une fois le troupeau réuni, deux ou trois bergers suffisent à mener des centaines de moutons à l’abattoir.

Ainsi, des destins qui auraient pu être uniques se perdent. Un galvaudage systémique de ce que l’humanité a de plus précieux : notre diversité. Le fait que chacune et chacun de nous ait en puissance la capacité de faire des contributions uniques.

Au train où vont les choses, il n’y aura bientôt plus grande différence entre un robot et un humain.

Ce serait oublier, cependant, que la société ne pourra pas résister à un tel appauvrissement. À partir du moment où elle ne reposera plus que sur de fausses valeurs, elle s’effondrera d’elle-même. Nous n’en sommes pas loin. Sans diversité, pas de survie.

Heureusement, ce n’est pas le monde qui s’écroulera sous le poids de l’uniformisation, ce ne seront que les structures de la société. Tout ce qui, précisément, la rend uniforme, monolithique.

Sur les ruines de cette illusion – comme si la vie pouvait être uniformisée ! la diversité nue du réel explosera de manière inédite et imprévisible. Et qui dit explosion, dit destructions et souffrances inenvisageables. Mais de nouvelles sociétés, espérons-le, renaîtront sur les ruines de l’effondrement.

1 commentaire

  1. … et ces nouvelles sociétés recommenceront éternellement à se soumettre au même système… Rien ne change JAMAIS.

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