phobies

victoires dérisoires

Vipère
Ou couleuvre
Aveuglante
Paralysante
La peur empire
Pousse au pire
Impose sa loi
À qui n’a pas
Foi en soi

AZ

Passé, présent ou futur : chaque personne, chaque société a le choix de se concentrer principalement sur l’un ou l’autre de ces trois pôles. La Renaissance, par exemple, a porté une attention toute particulière sur le passé ; dans notre cas, depuis le début de la modernité, c’est un véritable culte qui est porté au futur. Un futur qui tend à générer deux sentiments contradictoires, l’espoir ou la peur, que ni le passé ni le présent ne génèrent.

Vu sous cet angle, le mal-être qui caractérise notre époque se comprend mieux. Nous sommes toutes et tous, entièrement conditionnés par un contexte culturel axé sur le futur, sur le mythe du progrès. « Look forward ! », c’est un véritable mantra qui nous est asséné par le système, comme si c’était la solution à tous nos problèmes. « No future ! », se mettent alors à scander instinctivement celles et ceux qui refusent de croire à cette propagande. Que recouvre une telle réaction ?

D’abord, que ce mirage doré n’est que ça : un mirage. Il faut être aveugle pour ne pas voir ce qu’il y a d’effrayant dans ce que le futur nous réserve. Certes, les climatologues, les sociologues et même les psychologues sont nombreuses et nombreux à nous signaler des catastrophes imminentes à tous les horizons ; mais dans l’ensemble, c’est toujours le même refrain : il ne faut pas céder à la peur ! Cela relève du déni, pur et simple.

Quel est le problème, ne vaut-il pas mieux être optimiste que pessimiste ? La question est mal posée : le problème est que du fait de ce déni systémique, la peur est condamnée à demeurer enfouie dans nos entrailles, inavouée, ingérable. Or, comme toute émotion qui ne parvient pas à trouver une forme d’expression, elle ne fait que se renforcer jusqu’à éclater.

Nous en sommes là : une société qui ne se caractérise plus par une vision idyllique du futur et qui désormais vit sous l’emprise de la peur. Une explosion de phobies amplifiées par les réseaux sociaux, pollue notre environnement social, le rend de plus en plus irrespirable. Car la peur, d’autant plus si elle est irrationnelle et donc non maîtrisable, engendre la haine.

Il est donc nécessaire de mieux comprendre et d’identifier les facteurs de peur. À commencer par notre mortalité ; le fait que nous ne puissions la nier, que nous en ayons pleine conscience, a amené toutes les cultures à encadrer cette peur à travers divers rituels pour nous permettre de la maîtriser aussi bien que possible. Ainsi, pour la grande majorité, elle n’entraîne pas de phobies irrationnelles. Les accidents de la route sont un autre exemple : expliqués, détaillés, ils sont cependant sciemment mis au second plan, loin derrière les avantages et les plaisirs de conduire. Ils ne sont la cause que de très peu de phobies, contrairement aux avions de ligne qui sont pourtant beaucoup plus sécurisés.

Ce n’est que dans la mesure où il n’est pas, ou mal, encadré qu’un facteur de peur engendre de dangereuses phobies irrationnelles.

Quels sont donc ces obscurs facteurs auxquels nous avons du mal à faire face ?

Un des principaux est le sentiment de se voir dévalorisé(e), relégué(e) à une existence dépourvue de sens, sans impact sur la société. C’est le cas de centaines de millions de personnes anonymes contraintes d’accepter, quand il y en a, des emplois peu ou mal rémunérés qui n’offrent même pas la satisfaction d’un travail dont on peut être fier. Autant de personnes qui se sentent remplaçables, voire complètement inutiles, d’autant plus lorsqu’elles n’ont pas le privilège valorisant de jouer un rôle décisif dans un cadre familial ou associatif.

Et c’est là une peur souvent qualifiée d’inavouable, comme peut l’être le doute quant à son identité sexuelle, ses capacités intellectuelles, son apparence ou toute autre spécificité pouvant mener au sentiment d’être exclu(e). Dans de tels cas, s’il n’y a pas, comme si souvent, d’encadrement pour briser leur sentiment d’exclusion, si elles se heurtent à une absence de solidarité humaine, de telles personnes deviennent des cibles idéales pour toutes sortes de gens et de groupes qui exploitent cyniquement ces peurs inavouées. Il leur est proposé de se refaire une identité à travers la xénophobie, l’homophobie, ainsi que toutes autres sortes de perversions idéologiques telles que le fondamentalisme et le nationalisme, consistant à transformer la peur en haine.

De toute évidence nous en arrivons au point, avec l’aide des réseaux sociaux, de voir nos sociétés basculer dans ce gouffre pervers : les gens sont de plus en plus encouragés par l’aveuglement cynique du système à se trouver une identité non pas dans ce qu’ils sont, mais dans la manifestation de ce qu’ils haïssent. Un dérapage qui ne peut être que fatal pour toute société.

Pour remédier à cette imminente catastrophe psychosociologique, il suffirait pourtant d’ouvrir les yeux et de se secouer un peu.

Reconnaître d’abord que chaque être humain est unique et irremplaçable. Édicter et appliquer en conséquence des lois qui protègent sans la moindre ambiguïté la dignité de chacune et de chacun. Aider dans la proximité immédiate et à travers des réseaux de solidarité, les personnes handicapées par ces peurs à reprendre conscience de leur valeur. Les aider à se rendre compte que ce ne sont pas elles qui sont défectueuses, mais bien le système déshumanisant de nos sociétés contemporaines.

Revigorer tout le domaine culturel en le soustrayant à l’emprise du commerce pour lui redonner un de ses principaux rôles : permettre la sublimation de nos peurs et anxiétés, nous remettre sur le chemin de l’émerveillement.

Se rendre compte, enfin, que le « risque zéro » n’existe pas, que c’est une absurdité de promouvoir un tel but dans tous les domaines de l’existence. C’est se mentir à soi-même que de croire que le danger peut être éliminé de notre vie. Il faut au contraire, réapprendre à lui faire face, seule manière de véritablement dompter nos peurs.

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