substituts

victoires dérisoires

La plus belle des fleurs
En plastique
Ou même en soie
Reste
Sans parfum
Une poitrine
Artificiellement gonflée
Ne fait qu’étouffer
Les battements
Du cœur

AZ

« Prendre ses rêves pour des réalités », selon les cas et les circonstances, cette formule peut dénoter soit une grande naïveté, soit une noble ambition de se réaliser. C’est à nous en tant que société qu’il appartient de trouver un équilibre entre ces deux extrêmes. À savoir que tout ce dont nous pouvons rêver est loin d’être atteignable ni même toujours souhaitable, et que la réalisation de soi n’est pas chose facile, qu’elle n’est pas donnée à tout le monde.

Entre les achats en ligne, les hypermarchés et les boutiques de luxe, sans compter les agences de voyages et les billetteries pour toutes sortes de spectacles, c’est un éventail plus large que jamais qui nous est offert pour satisfaire le moindre de nos désirs. La société de consommation fait miroiter d’infinies possibilités d’assouvir notre soif de bonheur… À condition de pouvoir se le permettre financièrement. Mais rassurez-vous : il y en a pour tous les budgets !

L’absurdité de la chose devrait sauter aux yeux : le système nous traite toutes et tous, comme des enfants gâtés. Avant même que nous puissions nous demander ce dont nous avons véritablement envie, il se précipite pour nous convaincre qu’il est là pour combler nos attentes.

En dehors du fait qu’une telle infantilisation est préjudiciable pour la société, nous nous devons de réaliser que tout cela repose sur une double imposture : les besoins que nous croyons avoir ne sont pas les nôtres, et les solutions qui nous sont offertes pour les satisfaire ne sont que des substituts.

Prenons l’exemple des voyages qui comme il l’a été dit si souvent, « forment la jeunesse ». Le besoin de se dépayser, de découvrir d’autres horizons peut très bien être légitime. Mais de là à penser qu’une personne qui peut se vanter d’avoir parcouru la planète de long en large est mieux « formée » qu’une personne qui passe son temps à échanger avec des ami(e)s, à écouter de la musique ou à lire, il y a un grand pas à ne pas faire. Et, plus fondamentalement, peut-on dire qu’il s’agisse vraiment de voyage lorsque l’on s’assoit dans un avion pour se retrouver, quelques heures plus tard, confortablement installé dans un hôtel moderne, pas trop loin d’une plage si possible, ou pour avoir le privilège de se prendre en selfie devant les pyramides ? C’est, de toute évidence, complètement grotesque. Où est le risque, où est la découverte de l’inconnu, où est la nécessité impérative de repenser nos habitudes et notre mode de vie ?

Toutes ces escapades touristiques qui nous sont offertes, autrement dit, n’ont plus rien à voir avec un vrai voyage, ce n’en sont que de très vulgaires substituts. Sans oublier que, en pelant la croute du tourisme, les moyens de transport à longue distance deviendraient un peu plus vivables pour les personnes ayant de bonnes raisons de se déplacer.

Le secteur de la mode, les accessoires, les chaussures, les parfums, les crèmes, les vernis et les fausses dents est un autre vaste domaine de l’économie basée sur une même substitution de l’authentique par le faux. Une exploitation systémique de ce rêve que les hommes ont, autant que les femmes, d’être « élégants ». C’est négliger le fait que la seule vraie élégance est dans l’âme ; elle ne s’achète pas : elle se manifeste dans le comportement.

« C’est la classe ! », l’expression est bien mal choisie, dans la mesure où elle suggère que l’élégance est le reflet d’une appartenance à une classe qui serait supérieure. Or, rien n’est plus faux : nombreux sont les riches, et surtout les hyper-riches d’aujourd’hui, qui se comportent comme de véritables rustres. Il suffit, pour s’en faire une idée, de comparer par exemple le comportement d’un président Obama avec celui d’un riche clown comme Boris Johnson… Sans même parler d’un pauvre type comme Musk !

Modestie, discrétion, amabilité, et non l’ostentation ou l’arrogance, sont les authentiques manifestations de l’élégance. En encourageant à tous les niveaux l’acquisition de signes superficiels d’élégance, de toutes sortes de faux-semblants tapageurs, le système fait plus que de promouvoir des substituts : il corrompt cyniquement les fondements d’une éthique comportementale.

« Fake news ! », l’expression a rejoint les symboles qui caractérisent notre époque. Mais le faux, comme nous venons de le voir, ne se manifeste pas seulement dans la sphère de l’information. Il a envahi tous les domaines de notre quotidien. Faux cils, faux seins, faux culs… C’est une ère de mensonge dans laquelle nous vivons.

Le pire est que nous y participons toutes et tous à cette tromperie. Avec pour conséquence que nous n’avons plus le courage de regarder la réalité en face. Nous préférons, de loin, nous réfugier dans le virtuel.

Il suffit, pour s’en convaincre d’observer le comportement des gens dans les lieux publics. Les échanges humains y sont de plus en plus rares, les gens n’observent plus la réalité qui les entoure, l’attention de chacune et de chacun est rivée sur des écrans, tout le monde se réfugie dans sa petite bulle virtuelle.

Le zombie milliardaire qui a su profiter si avantageusement de notre besoin de communiquer, de vanter nos frustrations et nos petites satisfactions, n’a rien inventé. Son Metaverse est bien en place, même si après un investissement de plus de vingt milliards, il n’est pas encore parvenu à en extraire tous les bénéfices qu’il souhaitait. Nous n’avons pas besoin de casques pour nous envoler dans des univers virtuels ; nous avons déjà perdu pied avec le réel.

À la merci de ses fantasmes implantés massivement en nous par un système aveuglé par le mythe du profit, le troupeau humain progresse inexorablement vers le gouffre. Il n’y a plus lieu de parler de civilisation, l’espèce humaine a perdu son âme. Littéralement inconscients, sous le couvert d’une accumulation de fausses identités, nous sommes en train de basculer dans l’ère post-humaine.

Un des seuls espoirs, mais il est bien ténu, est qu’il y ait encore assez de moutons noirs pour semer la pagaille dans le troupeau.

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