attirances

victoires dérisoires

Une odeur
Qui se perd
Dans un regard
La chaleur d’une voix
Frémissement de l’épiderme
Dérèglement des sens
Vulnérabilité
Retrouvée

AZ

Parmi les décisions vitales que nous avons à prendre, celles qui portent le plus à conséquence sont celles concernant le choix de nos partenaires, dans la vie affective comme dans la vie professionnelle. Il paraît donc essentiel d’être conscients des bases sur lesquelles nous les prenons.

La Nature nous a donnés comme à tant d’autres animaux, un instinct qui nous pousse à être, selon les cas, attiré(e)s ou repoussé(e)s par nos semblables. Tous nos sens y participent, et nous faisons appel à la raison pour trancher en cas de doute. Nous sommes donc plutôt bien équipé(e)s pour prendre de telles décisions.

« Free Love ». Ce cri de ralliement, qui résonne depuis plus de cinquante ans dans notre culture, exprime bien la volonté de reconnaître à chaque personne le droit de faire un choix indépendant en matière de relations amoureuses. La vieille formule, « mariage d’amour ou mariage de raison », semble bien désuète. Et pourtant…

De tout temps, les sociétés se sont senties dans l’obligation d’encadrer, souvent de la manière la plus stricte, le choix des conjoints ; principalement pour la raison évidente que ce choix, avec la possibilité d’une progéniture, n’implique pas que les deux partenaires. Avons-nous vraiment dépassé ce stade ? Malgré une relative libération de la sexualité, malgré le droit, encore si fortement contesté, à l’avortement, il semblerait bien que non.

Nos attirances, et pas seulement dans le domaine sexuel, restent strictement contenues par notre système de société. Ce ne sont que les moyens de les contenir qui ont changé. Par exemple, les sites de rencontre ont remplacé le coup de foudre d’ordre instinctif, par des profils algorithmiques censés offrir la possibilité d’un «match» idéal. Nos choix en matière de collaborateurs, d’achats, de divertissements et même de santé sont encadrés selon le même modèle. L’atteinte à notre liberté se fait sans doute moins ouvertement, il y a moins de coercition ; mais nos existences sont de plus en plus conditionnées sournoisement dans le but évident de faire de nous des rouages bien huilés de la société, ou plus précisément, de l’économie de marché. Et cela, avec notre accord.

Encouragés par un tel contexte de société, à faire de moins en moins confiance à notre instinct, nous nous retrouvons dans une situation comparable à celle d’une personne qui n’exerce plus ses muscles : nous en ressortons affaiblis et vulnérables. Manipulables, autrement dit.

Pour bien fonctionner, le marché s’appuie sur des prévisions. Dans cette perspective, il est souhaitable que nos moindres désirs puissent être anticipés. Pour ce faire, le système a mis en place deux stratégies complémentaires.

La première s’applique à créer des désirs, qui en perdent ainsi toute leur spontanéité, à travers le bombardement médiatique et publicitaire. Le système n’a plus besoin de nous obliger directement et ouvertement à désirer, encore que ce soit le cas avec la voiture ou le portable, telle ou telle chose. Il lui suffit de nous inciter à le faire, de nous pousser constamment à coups de nudges, à désirer ce dont nous n’avons ni véritablement envie ni véritablement besoin… Tout ce qui profite au système. C’est ce qu’on appelle l’économie comportementale !

Celles et ceux que nous appelons des influenceurs avec leurs millions de followers ont ainsi remplacé les forces de l’ordre. Sous leur apparence de clowns pathétiques, ils s’assurent que nos vies soient conformes aux modèles voulus.

La deuxième stratégie consiste à nous épier systématiquement et à envahir notre sphère privée pour mieux cibler la stimulation artificielle de nos désirs. Nos données personnelles sont ainsi devenues des capitaux que nous ne contrôlons plus, et qui s’échangent sur le marché pour des sommes faramineuses ; un nouveau commerce qu’aucune loi n’est, à ce jour, parvenue à encadrer. Autrement dit, un commerce qu’il nous faut bien qualifier de hors-la-loi, contrôlé par les boss de réseaux néo-maffieux. Contrairement aux vieilles maffias qui se devaient de faire preuve d’une certaine discrétion, ces nouvelles maffias affichent fièrement leur pouvoir à un niveau planétaire, signant leurs méfaits avec leur « brand ».

Le comble c’est que nous en arrivons à admirer ces personnages fondamentalement répugnants qui nous manipulent à leur profit. Qui pour s’être offert le luxe de se propulser dans la stratosphère ou à la Maison-Blanche, qui pour être le roi ou la reine de domaines tels que l’immobilier, la pharma, la technologie digitale, la distribution ou même la désinformation.

Il faut creuser sous la surface pour mieux comprendre ces phénomènes. Traditionnellement, état, religion et culture ont tant bien que mal orienté nos désirs en fonction de codes éthiques, de valeurs abstraites. Ce n’est plus le cas : nous n’avons plus le choix entre le vice et la vertu ; nous sommes condamnés à nous départager entre loosers et winners. Tout notre système de valeurs est désormais basé sur cette opposition simpliste. Et celle-ci, à son tour, se base sur la nouvelle religion de notre époque : la compétition, dans tous les domaines, comme seul système de valeurs.

À défaut de pouvoir se retrouver sur le podium, les places y étant très limitées, nous nous complaisons dans une fascination morbide pour celles et ceux qui y sont parvenus : nous devenons sans même nous rendre compte de l’abêtissement que cela implique, des fans rentables.

La conséquence déplorable de ce que nous avons pu observer est une perversion fondamentale de cet instinct qui nous attire vers l’autre. Cet amour, qui est censé nous offrir la chance de nous ouvrir à ce qu’il y a de précieux et d’unique en chaque personne, a désormais fait place à un sentiment obscur et malsain qui consiste à se comparer à l’autre, dans le seul but de confirmer sa propre supériorité en le rabaissant.

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