
L’enfer sur terre
Roman d’horreur ? Enquête sur une terreur potentielle ? Récit prémonitoire ? Simple délire d’une auteure opposée au nucléaire ? Bien que la presse américaine ait estimé que le livre d’Annie Jacobsen était une non-fiction, l’écrivaine et journaliste est très claire : après dix ans de recherches et d’interviews de dizaines d’experts et consultation d’une masse impressionnante de documents déclassifiés – même si d’innombrables pages étaient totalement masquées par une épaisse couche d’encre noire, elle a bel et bien imaginé la pire dystopie possible : la fin de l’humanité.
Dans le prologue, l’écrivaine décrit les effets d’une explosion thermonucléaire d’une mégatonne sur l’environnement : « près de 100 millions de degrés Celsius, soit quatre ou cinq fois plus chaud que le cœur du soleil… quand elle frappe, la bombe émet un rayonnement, des rayons X dits mous, qui ont une très courte longueur d’onde. Sous l’effet de ce rayonnement, la température de l’air atteint rapidement des centaines de milliers de degrés, créant une gigantesque boule de feu qui se dilate à la vitesse de plusieurs millions de km/h. En quelques secondes, elle fait près de 1800 mètres de diamètre, irradiant une lumière et une chaleur intenses : le béton éclate, le métal fond ou se vaporise, la pierre se brise, les êtres vivants sont instantanément carbonisés. »
Voilà pour l’aspect technique. Le roman débute par le lancement surprise d’un missile balistique intercontinental (ICBM) par la Corée du Nord en direction de Washington. L’armée américaine ne parvient pas à neutraliser les ogives, les missiles atteignant donc leur cible en quelques minutes. Les Américains décident de riposter. Seul et grand inconvénient : pour rejoindre la Corée du Nord, les armes doivent survoler le Pôle Nord et donc le territoire russe. Or, les huiles de l’armée américaine (le président a disparu) ne parviennent pas à joindre Moscou pour les avertir que leurs ICBM ne font que traverser le ciel de leur pays en direction de la Corée du Nord. Les Russes supputent une attaque contre eux et répondent par l’envoi de 900 ogives nucléaires sur des cibles américaines. À leur tour, les Américains expédient leur stock d’ogives sur la Russie, alors que les alliés de l’OTAN envoient également leur arsenal nucléaire sur la Russie. Entre-temps, la Corée du Nord a également visé la centrale nucléaire de Diablo Canyon en Californie, provoquant la fusion du noyau. Un feu d’artifice dantesque dont personne ne profitera. Des centaines de millions de personnes sont rapidement réduites en cendres.
Très habilement construit, le roman de la fin de l’humanité décrit minute après minute (parfois à la seconde près) le scénario qui mène inexorablement à l’enfer : lancements divers, échecs des missiles intercepteurs, dégâts racontés par le menu détail (le lecteur passe ainsi de la fiction à la réalité en cas de conflit nucléaire), tergiversations politiques et militaires concernant l’application du protocole à appliquer ou non pour remplacer le chef des armées, le président. À la 72e minute de cette guerre éclair , l’Amérique et la Russie ne sont plus que des boules de feu incandescentes, l’Europe a plongé dans le néant, de même qu’une partie de l’Asie. Les hostilités prennent fin moins de deux heures après le début du conflit. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine, une partie du Paraguay ont été épargnées, mais sont rattrapées par des intoxications radioactives.
Suit une description du monde entré dans un hiver nucléaire : les 150 millions de tonnes de suie relâchées dans l’atmosphère, puis dans la stratosphère ont masqué le soleil. Quelques rescapés survivent, terrés sous terre, privés de lumière, d’eau, de nourriture. Dès lors, « la question reste ouverte. Les armes nucléaires amèneront-elles la fin de l’espèce qui les a créées ? »
Le livre se termine par un chapitre intitulé « 24.000 ans plus tard ». On entre dans un mystère plus épais que l’hiver nucléaire. Certes, la planète se remettrait de cette déchirure, la vie renaîtrait, c’est à peu près certain, mais sans nous. Peut-être serait-ce enfin la paix pour la Planète Bleue, avant que finalement le soleil ne la gobe comme on avale un œuf à la coque !
Une lecture fascinante et terrifiante, qui révèle une possible abomination en devenir. Le cauchemar absolu. Âmes sensibles s’abstenir.
Annie Jacobsen : Guerre nucléaire. Un scénario, Ed. Denoël, 2024, 390 p. avec les notes et la bibliographie, ill.
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