Écoute et générosité de Pasolini

S’il existait une rubrique « destin exceptionnel promis à l’enfer », sûr que Pier Paolo Pasolini occuperait une place de choix sur le podium. Maîtrisant plusieurs disciplines, principalement culturelles – écriture, poésie, peinture, journalisme, enseignement, traduction, dramaturgie, arts visuels, il fut aussi acteur, scénariste et réalisateur. 

Brillant, audacieux, il s’attira les foudres de la justice pour une œuvre taxée d’obscène. Son engagement pour le marxisme s’est réalisé loin des codes et des partis. Critique acerbe de la bourgeoisie et de la société de consommation, il secoue l’Italie de l’époque. Auteur et cinéaste sulfureux, homosexuel notoire, il dérange, mais obtient des soutiens de poids, notamment celui d’Alberto Moravia. Son existence chaotique, doublée d’une œuvre exigeante et toujours engagée, se termina par un assassinat particulièrement sordide en novembre 1975 sur la plage d’Ostie, près de Rome. À l’époque, les enquêteurs retiennent un crime à caractère sexuel, son meurtrier, un jeune prostitué ayant avoué – il se rétracta au début des années 2000. Le dossier, auquel personne ne croyait, est pourtant bouclé.

Or, en 2015, la journaliste Simona Zecchi, spécialiste de la mafia, publie un ouvrage « Massacro di un poeta » (pas traduit en français), qui prend le contre-pied de la version officielle. Il lui a fallu cinq ans d’investigations pour mettre à jour les innombrables incohérences et erreurs de l’enquête officielle. Selon elle, preuves à l’appui, l’implication de membres de la Démocratie chrétienne et des mouvements d’extrême droite ne laisse quasi aucun doute. Pasolini en savez trop concernant des scandales à répétition, il devenait dangereux. Le faire taire définitivement était la seule solution.

Parmi ses activités, son lien à la presse lui permit d’animer une rubrique « Dialoghi con Pasolini », parue dans « Vie Novelle ». Entre 1960 et 1965, il reçut des dizaines de lettres de lecteurs, venues de toute la péninsule. Rédigées par des correspondants de toute catégorie sociale et de tous âges, ces missives l’interrogent sur les sujets les plus inattendus : dilemme moral, chômage, comment concilier engagement politique et vie de famille, jugement sur le « Ulysse » de James Joyce, définition de l’intellectuel engagé, drogue, sexe, communisme, maladie, égalité homme-femme, etc. Il accueille et lit même les critiques de ses réponses, dont il s’explique. Durant six ans, il entretient ces dialogues avec beaucoup de modestie.

Choisis et réunis dans une anthologie, les plus marquants de ces échanges laissent entrevoir un individu d’une infinie gentillesse. Il porte la même attention à chacun de ses lecteurs, de quelque horizon qu’il soit. Il ne juge jamais, tente au contraire de comprendre et d’entretenir une relation épistolaire singulière et chaleureuse, qui éclaire également les intentions artistiques du poète, écrivain, cinéaste.

L’artiste italien le plus éclectique du siècle dernier se révèle surtout un prophète, conscient d’assister à la fin catastrophique de notre civilisation.