9. le lampadaire philosophe et la couleur du ciel

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L’amitié liant mon samovar et un lampadaire philosophe demeurant sur le port est incompréhensible. J’ai beau interroger mon récipient domestique entre deux tasses de Lapsang Souchong, jamais il n’apporte de réponse satisfaisante.

De guerre lasse, j’ai pris mes renseignements ailleurs.

Ce luminaire est un descendant des lampades, les nymphes accompagnant la déesse Hécate lors de ses virées nocturnes, servantes porteuses de torches dont les éclats enflammés engendrent la démence. Malheur à celui, qui à l’angle d’un carrefour, attarde son regard sur cette antique cohorte. Ce quidam au matin, l’œil hagard, tremble, car, pour la première fois de son existence, le réel du monde a surgi hors de sa boîte.

Il faut se méfier de toutes les lumières, car elles révèlent, derrière l’obscurité apaisante, ce qui jamais ne devrait se savoir. Les imprudents curieux des « pays-confort » sont des papillons égarés dans les bois d’oliviers sur les côtes de la Grèce. De fugaces lueurs attirent ces écervelés vers le rivage où sommeillent les corps entrelacés des noyés de la nuit.

Au loin, par delà les vagues, brille la clarté phosphore des incendies barbares, cruauté soulignée par le murmure lancinant des « orages-tambours » et les vapeurs du « brouillard-mensonge ». Les éblouis reviennent les épaules chargées.

Cette nuit, dans les rues d’Utrecht, sont apparues des affiches électorales affirmant qu’ici, le ciel est plus bleu qu’ailleurs, qu’il est prudent de se méfier des corbeaux migrant depuis les pauvres terres.

À la vue de ce placardage, l’ampoule du lampadaire philosophe grésille, puis balbutie que le bleu est le ciel, que le ciel n’est à personne et que personne n’est le ciel.

dernière parution : Éd. Épuisées (1970) : Traité sur l’indifférence sonore entre les ploufs et les ploucs (épuisé)

réédition les éditions épuisées collection des 4e de couverture (2024)