4. Gustave le samovar

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Depuis plusieurs jours, le brouillard s’est installé à Utrecht.

L’eau des canaux, restée chaude de l’été, frémit avec l’arrivée des premières fraîcheurs automnales. Dès le matin, les fumerolles valsent entre les nénuphars. Petit à petit, la chorégraphie des vapeurs s’élance vers le ciel. Dès l’aube, cette ville des Pays-Bas s’imprègne d’une allure londonienne.

De ma fenêtre, je ne distingue plus les canards allant d’une rive à l’autre, encore moins l’arbre, le banc, le lampadaire et l’espoir de cette silhouette féminine au visage dissimulé derrière un livre.

Je m’ennuie, alors je fais la conversation à mon samovar.

Durant sa jeunesse, il avait reçu un coup sur son bec de théière. Comme l’appendice est légèrement tordu, il parle du nez. La cause de cet accident reste mystérieuse. Je suis un homme patient, un jour, il racontera l’aventure.

Ce samovar n’est pas nommé, ce qui est regrettable. 

Avant de choisir un patronyme bien adapté, je retourne à la brocante de la rue des Cigognes afin de me renseigner sur son origine. Le marchand n’en sait rien, mais me propose d’acquérir pour un juste prix, deux casseroles indonésiennes, les demoiselles Wok.

Prudemment, j’opte pour une poêle du Creuset tout à fait charmante.

De retour à la maison, j’observe un instant ma fontaine à thé avant de lui adresser la parole. Des gouttes de condensation slaloment sur sa peau métallique. Il m’aperçoit et me gratifie d’un large sourire.

Je lui annonce qu’il s’appellera Gustave, Gustave le samovar.

Il est heureux, car il devine que ce qui est nommé, même une seule fois, existe pour toujours.

dernière parution : Éd. Épuisées (1970) Traité sur l’application de la vélocité des ascenseurs selon l’altitude (épuisé)

réédition les éditions épuisées collection des 4e de couverture (2024)