les mots

verbe

La culture n’échappe pas aux impulsions bourgeoises de la société et s’adapte en confortant la domination des uns sur les autres, s’encanaillant parfois dans la transgression, rarement dans la subversion et ne renâclant pas devant les honneurs et les caresses.

Dans mes souvenirs, malgré leurs mines renfrognées, les danseuses sur l’un des tableaux de Degas supportent l’odeur des cigares, les corps libidineux et les flatteries grivoises d’une élite endimanchée. J’imagine qu’elles espèrent la beauté et l’art supérieurs à la bassesse du monde, mais je sais la désillusion inévitable. La pâleur légèrement bleue de leurs costumes et la transparence des tulles, la maigre protection des tutus, tout concours à une inévitable soumission, car pour les enfants de la précarité il n’est pas recommandé d’aller à contre-courant.

La présence des « mécènes de chairs » s’est diluée maintenant dans la discrétion des appareils privés ou étatiques où se cultive le nouveau « bon goût ». Fondations, commissions ou services culturels des cités ou des états régulent la production artistique et assurent au public l’accès aux meilleures propositions.

Ce système est plus gestionnaire que politique, l’avenir se limite aux résultats rapides et à des actions qui enrichissent principalement les destins personnels. Dans ce carcan, le temps long et le commun s’étiolent jusqu’à n’être que les échos d’une lointaine légende, un âge sympathique habité par des rêveurs, un passé où les saltimbanques étaient enterrés hors des cimetières sans jamais devenir des têtes de gondoles.

Bref, le temps étrange des improductifs, car échappant à la moderne réplication commerciale.

Aujourd’hui, c’est un réalisme déclaré qui oblige à une gouvernance ne tenant plus compte des protagonistes, mais se vouant à la vénération des nouvelles lois de management avec son lot de standardisation. Pour garantir l’efficience et la sécurité des processus, les décideurs utilisent un langage de communication spécifique, un vocabulaire permettant à ces technocrates culturels de dessiner les contours du non-dialogue.

Nous sommes passés de la publicité, c’est-à-dire le désir de porter à la connaissance de l’autre, un produit, une action ou un concept politique, à la communication, soit l’histoire racontée (le storytelling), autrement dit, la déformation unilatérale du réel à des fins d’envoûtement.

C’est ce nouveau vocabulaire, entre autres, que nous tenterons de décoder de manière libre et organique. Nous commencerons par les mots, car au commencement était le verbe

1 commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *